La mystérieuse jument avance lentement et finit par apparaître dans la lumière de la lune. Elle a des crins améthyste et une robe grise. Elle porte une petite robe bleue qui ne paie pas de mine. Ses yeux turquoise sont mi-clos et elle fixe un regard indéchiffrable sur les deux compagnes. Derpy et Lyra sont figées. Leurs yeux vont du caillou à la jument, de la jument au caillou. Soudain, la nouvelle venue tend le sabot. Les deux amies se prosternent.
« Pitié, ne nous ôtez pas le saint-caillou ! supplie Derpy.
-Ce n’est pas un saint-caillou. C’est un fragment de roche sédimentaire. Il s’appelle Boulder. »
Un long silence suit cette déclaration. Une pierre qui a un nom ? Un fragment de roche quoi ? Qui donc est ce poney ?
« Il s’appelle… ? Il a un nom ? hésite Lyra.
-Il est vivant ?! s’écrie Derpy.
-C’est mon ami. Je peux le ravoir ? » demande l’étrange jument.
Comme Derpy reste sans voix, Lyra décide finalement de rendre le caillou. Au passage, elle l’observe rapidement sous tous les angles pour comprendre ce qu’il a de spécial, mais elle ne voit qu’une pierre ordinaire. Après un haussement d’épaule, elle le dépose dans le sabot de la nouvelle arrivante. Cette dernière remercie la licorne verte d’un signe de tête. Elle glisse la roche dans la poche de sa robe. Puis elle reste immobile. Elle ressemble presque à une statue.
« Euh… Comment t’appelles-tu ? demande Lyra en tentant un sourire gêné.
-Maud Pie, répond-elle d’une voix monotone.
-Oh…! Moi, c’est Lyra… Et, euh… »
La jument couleur menthe réfléchit à sa prochaine question, mais leur interlocutrice ne semble pas très causante. Cependant, pourquoi reste-t-elle plantée là ? Derpy décide à son tour de briser la glace.
« Comment es-tu arrivée ici ?
-En poussant la porte, dit la jument en haussant un sourcil, comme si la réponse était évidente.
-Ah, oui, bien sûr… sourit Derpy, un peu honteuse. Mais tu n’as sûrement pas trouvé ce château par hasard. Il n’y avait pas de nuage vert foncé bizarre ?
-Si. Comment le sais-tu ? demande Maud, qui semble intéressée.
-On va t’expliquer, intervient Lyra, mais on devrait partir. Cet endroit n’est pas sûr », ajoute-t-elle en jetant un œil vers les tableaux.
Les juments acquiescent. Elles se dirigent vers la porte en bout de couloir, après avoir soigneusement piétiné le tableau de l’alicorne vaincue.
Les trois comparses pénètrent dans une grande pièce très simplement meublée. Les rayons de la lune coulent sur un tapis poussiéreux. Plusieurs canapés sont rassemblés autour de petites tables. Cependant, une vaste partie de la chambre est dépourvue de meubles ; il s’agit probablement d’une salle de bal. Derpy galope vers l’un des canapés et se jette dessus avec bonheur. Lyra suit plus calmement et s’installe d’une façon étrange : au lieu d’être allongée, elle laisse ses jambes arrières se balancer dans le vide, les jambes avant sont collées le long du corps et la queue forme une grosse touffe posée à côté d’elle. Sa tête dépasse le dossier du canapé.
« Ça n’a pas l’air très confortable », grimace son amie.
Maud finit enfin par arriver, lentement mais sûrement. Elle monte sur le canapé libre, sort Boulder de sa poche et le pose sur la table.
Derpy raconte ce qu’il lui est arrivé : le muffin à Sugarcube Corner, le petit vol de détente, sa traque par le nuage d’Everfree. Puis elle raconte son arrivée au manoir et tout ce qui lui est arrivé. Maud ne réagit pas tandis que Lyra a les yeux humides.
« Moi… Je ne faisais que discuter avec Bon Bon », finit-elle par articuler. Elle évoque ensuite le nuage qui apparaît, la lumière blanche qui l’a emportée, son réveil dans la forêt noyée de brouillard, sa découverte du château. La jument verte relate son avancée jusqu’au jardin et la fuite face aux chauves-souris vampires.
« Voilà, tu sais tout, Maud, soupire la licorne. Comment t’es-tu retrouvée ici, toi ? »
D’abord, la terrestre grise ne réagit pas. Elle caresse son petit caillou. Derpy se demande si elle a entendu la question. Elle finit par lever la tête.
« J’étais dans la ferme à rochers. Il y avait un nuage vert au-dessus de la carrière. » Elle fronce les sourcils et sa voix se fait ferme. « J’ai voulu le chasser. Il y a eu un éclair et je me suis retrouvée dans du brouillard. J’ai trouvé ce manoir. » Soudain, elle lève les yeux vers le plafond, comme pour se souvenir d’un détail important. « Murs de granite. Et tuiles en ardoise. Je suis entrée. Il y avait quelque chose d’étrange, j’ai voulu me cacher et j’ai dû activer un piège. Je suis tombée dans une prison, j’ai cassé le mur, et je me suis enfuie. » La jument lève la tête vers Derpy. « On dirait que tu es passée après moi. Les fissures dans les murs, c’est moi qui les ai faites. »
Les deux juments se regardent, croyant halluciner. La pensée de la pégase grise évolue. Elles ont donc affaire à un empereur dragon-vampire avec un souffle magique et le pouvoir de se changer en ombre. La force colossale revient à Maud.
« J’ai erré longtemps », continue celle-ci d’un ton calme et un peu ennuyeux. « J’ai ouvert beaucoup de portes. J’ai vu des statues. Marbre rose. Et j’ai trouvé une peinture qui me bloquait la voie, alors Boulder a voulu m’aider. Je vous ai trouvées, et voilà. »
Les équidés gardent le silence pendant un moment. Derpy est de plus en plus certaine que ce n’est pas le château des sœurs royales : les princesses ne garderaient pas des tableaux aussi effrayants chez elles. D’ailleurs, où auraient-elles pu les trouver ? Peut-être chez une sorcière ? Est-ce que les princesses vont aux vides-greniers ? Ou elles les auraient enchantées pour protéger le château ? C’est tellement compliqué ! Sa pensée décide de partir ailleurs… vers Ponyville, vers Dinky, vers tout ce qu’elle a perdu en posant le sabot ici. Que fait sa fille en ce moment ? A-t-elle bien mangé le goûter qu’elle lui a laissé ? Comment fera-t-elle pour se préparer à manger ? Elle ne sait que faire des muffins à la myrtille. Ne manger que des gâteaux tout le temps, c’est dangereux… Sauf si on s’appelle Pinkie Pie, mais c’est autre chose. La pégase grise essaie de se rappeler le goût du muffin au chocolat qu’elle a mangé avant d’arriver ici… Mais il est déjà parti. Elle relève la tête, déterminée à ne pas laisser tomber. Elle va retrouver sa fille, elle ne faiblira pas. Maintenant, elle a trois amies avec elle ! Plus rien ne peut leur arriver !
Alors que Derpy se motive, elle croise soudain le regard de Maud. Est-ce que c’est son imagination… ou y discerne-t-elle une pointe d’amusement ? La jument cendrée se concentre pour décrypter le regard de la terrestre. Ses yeux dorés sont parfaitement alignés. Cependant, elle n’arrive pas à découvrir les pensées secrètes de l’énigmatique jument. Un peu honteuse, elle finit par lui demander :
« Qu’est-ce qu’il y a, Maud ?
-Tu as du papier toilette sur la tête », répond cette dernière, sans trouble apparent.
Derpy l’avait totalement oublié ! Un peu penaude, elle le fait tomber avant de le poser sur son aile abîmée. Elle tente désespérément de se refaire un bandage, mais elle a peur de l’endommager. Maud se lève soudain, sans une parole. Elle saisit le papier toilette, Derpy tend son aile et Maud s’applique à l’envelopper. Puis, toujours sans rien dire, elle retourne s’allonger.
« Euh… Merci ! »
La terrestre grise se contente d’un hochement de tête. Quant à Lyra, elle s’est finalement affalée dans une position à peu près normale, étalée sur le dos, ronflant légèrement. Maud la regarde un instant avant de croiser les sabots puis de poser sa tête dessus.
« Bonne nuit.
-Oui, bonne nuit aussi ! »
Après tout, elles ne peuvent pas faire grand-chose d’autre. Elles sont toutes fatiguées, c’est vrai. Mais elle est inquiète. Derpy regarde par la fenêtre. La lune est haute dans le ciel… Elle a pourtant été emmenée dans cet endroit le matin… La nuit ne peut pas s’être levée aussi rapidement… Ses pensées sont interrompues par un gargouillement. Elle a faim… Bon sang ! Elles sont dans un manoir abandonné, comment vont-elles trouver de la nourriture ? Est-ce qu’il a été abandonné à temps pour contenir un frigidaire ? Est-ce que le monstre qui les pourchassait a tout mangé depuis longtemps et n’a plus que des poneys à se mettre sous la dent ? Elle tremble… Non, non, arrête de penser au pire, calme-toi, reste sereine… Elle sent une larme rouler sur sa joue. Non, il faut qu’elle se contrôle… Elle sortira de cet endroit avec ses camarades, elle n’abandonnera pas…
Derpy finit par fermer les yeux, angoissée à l’idée que le monstre puisse les trouver dans leur sommeil, mais surtout terrifiée à l’idée d’abandonner sa petite fille chérie, et de mourir de faim dans cet infâme manoir… Alors elle se raccroche aux souvenirs joyeux, elle s’agrippe à sa fille. Une pensée vient alors la réconforter. Elle ne pensait qu’à sa fille… Mais il y a aussi un allié de poids sur qui elle peut compter. Un très bon ami, qui voyage à bord d’une boîte bleue…